Des scientifiques spécialistes de l’expansion des cultures agricoles avaient déjà émis l’hypothèse d’une double localisation de foyers de domestication de la vigne. Cependant la théorie la plus répandue penchait pour une localisation unique dans le Caucase. Une étude parue dans la revue Science le 3 mars 2023 semble trancher définitivement, étude du génome de la vigne à l’appui, en faveur de l’option à double foyers. Je vous relate ici la saga de la domestication de la vigne à travers les époques.
La vigne sauvage est une liane qui pousse dans les arbres jusqu’à plusieurs dizaines de mètres de hauteur. Elle est apparue avant l’humanité et est toujours représentée en Europe par la variété Vitis Vinifera Sylvestris (vigne sauvage ou lambrusque).
La vigne sauvage est une liane qui pousse dans les arbres jusqu’à plusieurs dizaines de mètres de hauteur. Elle est apparue avant l’humanité et est toujours représentée en Europe par la variété Vitis Vinifera Sylvestris (vigne sauvage ou lambrusque).
Cette vigne datant de la préhistoire n’a rien à voir avec notre vigne actuelle. Ses raisins trop petits, impropres à la vinification, servaient principalement à nourrir les oiseaux. Ils faisaient cependant l’objet de cueillette depuis le paléolithique inférieur (entre -500 000 et moins 1.2 million d’années).
La culture de la vigne se serait ensuite répandue à travers la Mésopotamie, domestiquée entre autres par les Sumériens, les Babyloniens, les Assyriens, les Egyptiens, les Hébreux, les Phéniciens, etc…, puis se serait diffusée tant à l’Ouest qu’à l’Est.
La vigne tient donc une place prépondérante dans les civilisations et ne se bornera pas seulement à sa fonction alimentaire.
On trouve par exemple 979 occurrences au vin ou à la viticulture dans la Bible.
Selon les Ecritures, Noé, après le déluge, aurait planté ses vignes sur le mont Ararat, situé sur le haut-plateau arménien, dans l’actuelle Turquie. À peine sorti de l’Arche, “sur la terre encore mouillée et molle” comme le dit Victor Hugo, Noé planta une vigne. La vigne est ainsi, selon la Bible, le premier végétal planté par l’homme, écrit Marc Paitier dans Les Vignerons du ciel (édition Mareuil).
Et Marc Paitier d’ajouter « Après l’épreuve purificatrice du déluge, la culture de la vigne est une promesse de renouveau, de joie et d’espérance. Le métier de vigneron trouve là toute sa grandeur et sa noblesse. Il porte l’héritage de Noé. En plantant pour la première fois une vigne, il annonce quelque chose de la nature de Dieu, un Dieu-Vigneron qui prend soin de sa création et qui veut faire partager quelque chose de l’Ivresse Éternelle qui l’habite. »
Si l’ivresse est fortement proscrite dans les religions musulmane et judaïque, empêchant l’homme d’accéder à la compréhension du message divin, la consommation du vin reste un acte important dans la religion juive.
Porter coupe à ses lèvres marque plusieurs étapes et fêtes dans la première religion du Livre. Il existe aussi un proverbe juif qui dit « quand le vin est entré, le secret est sorti ». On peut l’interpréter ainsi « pour savoir ce que vaut vraiment une personne, fais la boire et la vérité apparaîtra ».
La religion chrétienne va, quant à elle, s’éloigner de ce principe, en utilisant le vin comme symbole du sang du Christ au moment de l’Eucharistie. C’est le principe mystérieux de la transsubstantiation.
Pour revenir à nos récentes révélations scientifiques, voyons ce que l’ADN de la vigne nous indique. Une équipe internationale a déchiffré le génome de quelques 1600 variétés cultivées (cépages) et 840 formes sauvages (lambrusques) de vignes issues de 16 pays différents.
Grâce à ce déchiffrage, les chercheurs ont retracé l’aventure de la domestication de Vitis Vinifera.
Je cite là plusieurs extraits du formidable article rédigé par Florence Rosier dans Le Monde (Planète et Science – 4 mars 2023). Ces vignes sauvages et ancestrales colonisaient de nombreuses régions d’Europe, du Moyen-Orient, du Caucase et d’Asie. Mais il y a 200 000 à 400 000 ans, elles vont subir une séparation en deux branches, l’une à l’Est et l’autre à l’Ouest de l’Europe. Puis il y a 56 000 ans, la branche de l’Est s’est à son tour scindée en deux sous-populations, l’une dans le Caucase et l’autre au Proche-Orient.
« Cette scission s’est produite à la faveur du dernier épisode glaciaire, « entre le Caucase et le Proche-Orient s’étend une barrière montagneuse naturelle », explique Pierre-François Bert, de l’Inrae de Bordeaux et coauteur de l’étude. « Les glaciers ont renforcé cette barrière créant de part et d’autre deux niches écologiques, où chaque sous-populations de vignes a pu évoluer indépendamment ».
A partir de ces deux sous-populations, les humains ont domestiqué la vigne selon deux processus indépendants, il y a environ 115 000 ans. Malgré la distance entre ces deux zones géographiques, « les deux processus de domestication se seraient déroulés simultanément, partageant de nombreuses signatures de sélection sur les mêmes gènes », écrit Robin Allaby, de l’université de Warwick au Royaume-Uni, dans un commentaire publié par Science.
« Notre étude confirme donc qu’il y a eu deux foyers de domestication de la vigne »
relève Thierry Lacombe, professeur à l’Institut Agro Montpellier, lui aussi coauteur de l’étude. « Elle montre aussi que la vigne a été domestiquée à peu près au même moment que les céréales ».
Les populations auraient donc domestiqué très tôt pour leurs fruits : olivier, palmier-dattier, figuier et vigne.
Autre surprise, précise Florence Rosier : jusqu’ici, on pensait que la très grande majorité des cépages actuels provenait du Caucase. Erreur, montre l’étude. Le foyer caucasien n’a engendré qu’une seule famille de cépages, qui sera exclusivement réservée à la production de vins. Une famille restée principalement locale, qui a peu influencé la diversification des cépages mondiaux.
Les cinq autres grandes familles de cépages actuels, sont toutes issues du Croissant fertile. Les protocépages domestiqués dans ce foyer ont essaimé vers l’Afrique du nord et toute l’Eurasie, influençant la diversification des cépages de cuve (les cépages utilisés pour la fabrication du vin) et des variétés de raisins de table. Une dispersion qui suit les premières routes migratoires des agriculteurs en Europe « attestant que la culture de la vigne a été concomitante à la sédentarisation des sociétés » relève l’Inrae.
A mesure que ces cépages progressaient vers l’ouest de l’Europe, apportés par ces populations agricoles, ils se sont hybridés avec les lambrusques présentes localement. « Les croisements avec ces vignes sauvages sur place depuis des millénaires ont sans doute facilité l’adaptation locale de ces cépages venus d’Orient » ajoute Thierry Lacombe. En se croisant, ces cépages ont récupéré des gènes qui ont sans doute favorisé leurs acclimations aux sols, aux climats et aux pathogènes nouveaux qu’ils rencontraient là. Un phénomène qui a joué un grand rôle dans la culture de la vigne de cuve en Europe occidentale.
Ces croisements ont amplifié la diversification des cépages, engendrant leurs trois plus récentes familles : celles des Balkans, il y a 8 000 ans, celles de la péninsule ibérique, il y a 7 700 ans, et celles de l’Europe de l’ouest, il y a 6 900 ans. Dans cette dernière famille, la diversification, la dispersion et le commerce des cépages se sont accélérés, coïncidant avec le renforcement des échanges culturels qui a marqué l’âge de bronze.
Une incertitude reste entière sur les raisons de l’invention du vin. L’hypothèse retenue pour l’instant est l’accident : le raisin pouvant naturellement fermenter dans des conditions adéquates, nos ancêtres auraient pu faire fermenter accidentellement des raisins puis reproduit le mécanisme avant de la maîtriser entièrement.
On sait que la première représentation visuelle du vin est datée du troisième millénaire avant notre ère par les Egyptiens, sur des bas-reliefs représentant des scènes de vendanges et de pressurage du raisin.
C’est aussi aux égyptiens que l’on doit le premier vin identifiable, nommé « vin noir du mont-liban ».
Il comprenait déjà un millésime et un nom de producteur !
C’est encore plus tôt, dans le village de Shoulaveris Gora, en Géorgie qu’on retrouvera des résidus d’acide tartrique trouvés sur des tessons de jarre, l’acide tartrique étant l’acide le plus présent dans le raisin.
C’est encore à ce jour la seule région où l’on retrouve des traces de complexes entiers de vinification (pressoir et cuve). Cependant de nouvelles fouilles sont en cours dans d’autres pays, comme l’Arménie et l’Azerbaïdjan, qui pourraient offrir des preuves encore plus anciennes de vinification de raisins.
Avec cette étude, la saga du vin a fait un pas de géant, mais n’a pas encore dit son dernier mot !