Période de Foires aux vins oblige, les vins de Bordeaux vont être à la fête ces prochaines semaines.
En dépit de l'effet Covid cette année, le succès des grands "Bordeaux" est indéniable depuis 20 ans. Pourtant excepté les quelques 250 châteaux les plus réputés, la région est aujourd'hui à la peine !
"Bordeaux, c'est trop cher", "Bordeaux, c'est chimique", "Les Bordeaux, c'est tous pareils", nous sommes rentrés dans l'ère du Bordeaux Bashing (dénigrement).
New-York ne jure plus que par les vins de petits producteurs en provenance de Savoie et du Jura. Le Noma, restaurant élu plusieurs fois meilleur restaurant du monde à Copenhague, se targue de ne pas avoir de cru bordelais sur sa carte. Plus proche, les Bars à vins réputés et récemment ouverts à Paris ont exclus ou presque Bordeaux.
La Chine, premier client de Bordeaux commence à diversifier ses achats vers d'autres régions viticoles . S'y ajoutent les taxes imposés par Donald Trump et les incertitudes liées au Brexit alors que la Grande-Bretagne est une plaque tournante importante pour Bordeaux.
Même le consommateur français se détourne. Le vignoble de Bordeaux est très représenté sur les linéaires (3/4 des vins achetés en France le sont en Grande Distribution). Entre les opérations commerciales et les prix "cassés" proposés par les hard-discounters, il n'est pas rare de se voir proposer des Bordeaux à moins de 3 euros la bouteille. De quoi vous flinguer une image !
Et puis, effet Parker ou pas (nom d'un célèbre critique de vins américain, accusé trop facilement d'avoir formaté le goût des vins de Bordeaux), l'idée s'est installée que tous les vins de Bordeaux avaient le même goût, un goût dominé par le bois.
Aussi, à force de communiquer sur l'envolée spectaculaire des tarifs des crus classés de Bordeaux, de la construction de chais grandioses par les plus grands architectes au monde, le consommateur s'est forgé l'idée que les vins de Bordeaux n'étaient plus bons que pour les millionnaires étrangers, que le Languedoc offrait aujourd'hui une alternative intéressante et bon marché.
Enfin, à l’heure où le respect de l’environnement passe pour une priorité pour une majorité des français, les enquêtes comme « Produits chimiques : nos enfants en danger », présentée dans l'émission « Cash Investigation » ou Vino Business, présenté sur France 3, ont attiré non seulement l’attention sur l’épandage excessif de pesticides en Gironde mais au delà, ont souligné le retard net de la région sur la conversion de son vignoble à une viticulture biologique. Des doutes légitimes !
Loin de moi, l'idée que le vignoble bordelais est exempt de fautes. Elles existent, comme ailleurs !
Cependant par réflexe, j'ai peu de goût pour les avis extrêmes nous détournant souvent de la vérité . Je vais donc, sans compromission, tâcher de rétablir certaines réalités.
L'exemple de la réussite justifiée du Château Pontet-Canet, 5ème Cru Classé de Pauillac, aurait dû convaincre plus tôt les autres domaines à ne pas procrastiner sur ce qui deviendra assez rapidement inéluctable à plusieurs titres, à savoir un passage à un mode de viticulture plus durable.
Bordeaux avait pris du retard mais se rattrape aujourd'hui au galop. Il faut aussi préciser que le vignoble aquitain n'est pas le plus simple à convertir de par son climat océanique humide.
Non, tous les Bordeaux ne sont pas chers et même loin de là.
Bordeaux foisonne de vignerons indépendants capables de vous proposer "des pépites" à moins de 20 euros.
Une fois sorti du carcan de la réputation des appellations, vous trouverez de jolis vins en appellation Bordeaux supérieur, Haut-Médoc, dans les satellites de Saint-Emilion ou dans les vins de Côtes. Je le répète invariablement, bien des surprises seraient au rendez-vous, si tout était dégusté à l'aveugle!
Certes mais si c'est pour avoir 10 clones au goût semblable, à quoi bon !
Je reconnais que la différence entre deux vins de Bordeaux est plus ténue qu'entre deux vins rouges de Loire ou deux Riesling alsaciens. Le recours massif au boisage, l'impact moins évident des sous-sols font que la palette aromatique et les sensations en bouche sont à priori moins variées.
Pourtant, si vous aviez l'opportunité de participer à une dégustation lors d'une campagne de primeurs, avec des vins qui n'ont pas encore acquis leur diversité par le temps, ni de se dégager de leur gangue boisé puisqu'ils vieillissent encore en barriques, vous constateriez aisément que dix vins de Saint-Emilion peuvent vous faire vivre autant d'émotions différentes.
La chance de Bordeaux, contrairement à beaucoup de régions viticoles françaises, est de pouvoir jouer avec l'assemblage de plusieurs cépages (principalement Merlot, Cabernet-Sauvignon et Cabernet-Franc),
de faire varier leur proportion, et donc d'influer sur le goût du vin.
Le pourcentage de vin passé sous bois (ou en cuve), la durée de passage en barriques, le pourcentage de barriques neuves, véhiculent aussi des différences notoires entre les vins.
Naturellement il faut pour cela s'éloigner des vins standardisés, achetés à bas prix à des vignerons contraints par une logique de marché cruelle pour la majorité des appellations bordelaises aujourd'hui.
Bordeaux paye aujourd'hui aussi sa large exposition.
Les cépages des vins rouges de Bordeaux sont les plus utilisés dans le monde
(le Cabernet-Sauvignon et le Merlot sont respectivement n°1 et 2 mondiaux).
Le style Bordeaux reste le plus copié dans le monde.
Le Chili a pour "porte-drapeau viticole" un ancien cépage bordelais, le Carménère. Château Musar, vin libanais classé parmi les 100 plus grands vins au monde, est dominé par l'esprit bordelais. Cocasse, la reconnaissance mondiale des vins toscans, puis de toute l'Italie dans la foulée, est survenue à la création de vins appelés "super Toscans" intégrant l'élevage et les cépages bordelais.
Vous l'aurez compris, Bordeaux, par sa renommée, a généré sa propre concurrence et une forme de contre-culture !
Il reste que, sauf millésime vraiment malheureux, interrogez moi sur quel vin rouge acheter pour l'année de naissance de son enfant ou petit-enfant et ma réponse sera souvent la même ,
un grand Bordeaux, en moyenne bien plus apte à la garde et à la plénitude dans le temps.
C'est une assertion forcément pleine d'exceptions mais qui en vérité rend justice à Bordeaux.