Que de regards effarés n'ai-je pas croisés à la lecture d'un degré d'alcool ? Il est vrai que le degré des vins a fortement augmenté depuis 30 ans. Le coupable idéal est tout désigné : le dérèglement climatique. Retour ci-dessous sur les différents facteurs, ayant ensemble, conduit à cette "chaleur" dans les vins.
Ces dernières années, le gel aura durement frappé les vignobles. Une catastrophe bien plus forte, qui va encore fragiliser un peu plus, une profession déjà mise à mal par les taxes américaines, le Brexit, la fermeture des restaurants et le recul des achats chinois. Cette vague de froid soudaine intervient, après un hiver plutôt doux et un début de printemps si chaud que les "fruitiers" par réflexe avaient déjà bourgeonnés.
Chaud/froid, les effets du dérèglement climatique sont bien là ! Mais ils servent seuls d'explications, là où la réalité des faits, s'avèrent parfois plus complexes.
Au milieu de mes dégustations-prestiges de vin, j'organise trois à quatre fois par an, des dégustations-ventes,
l'histoire de voir ce qui s'achète quand on utilise ses propres deniers. J'ai renoncé, depuis longtemps à glisser dans une même dégustation, des vins rouges de Loire ou de Bourgogne, aux profils plus acides, face à des vins d'influence rhodanienne. Le prix joue certainement, mais l'onctuosité des vins de la Vallée du Rhône ou du Languedoc, est manifestement la principale motivation des acheteurs.
C'est comme entre une pomme acide et une pomme gorgée en sucre, le match est déjà joué d'avance.
Sur les vignobles situés autour du 45ème parallèle, favorable à la vigne, la température a augmenté de 2 degrés depuis les années 60. Du coup, le raisin gagne en maturité, donc en taux de sucre et de facto en taux d’alcool.
Là où des vins de Bordeaux titraient souvent autour de 12,5 %, la norme s'est transformée entre 13,5 et 14,5 degrés. Il en va ainsi, partout en France et dans le monde. L'image de wagons entiers chargés de sucre, arrivant dans les régions viticoles pour chaptaliser des vins trop "maigres", est devenue une image poussiéreuse.
L'enquête menée par l'équipe de Julian Alston de l'Université du vin de Davies en Californie est parlante.
La teneur moyenne en sucre des raisins californiens a augmenté de 11% entre 1980 et 2007. Les chercheurs se sont demandés si cette élévation se retrouvait telle quelle dans le degré d’alcool des vins obtenus, et si cette évolution était plus liée au changement climatique, qu'à des pratiques culturales, visant à obtenir des produits mûrs et structurés.
Cette étude s’est basée sur les contrôles menés systématiquement par le Liquor Control Board of Ontario (LCBO), monopole d’état des vins vendus en Ontario. Les résultats de 16 années (1992-2007) de tests ont été utilisés. Ce qui représente 91 432 échantillons pour 11 pays.
Au niveau mondial, le degré alcoolique moyen des vins a augmenté de 1,1°C sur 16 ans, passant de 12,7 à 13,8.
Dans le cas de la France, le degré s’est accru de 1°C.
Face aux résultats trouvés, les températures ne peuvent expliquer seules,
la croissance continue des degrés alcooliques des vins.
Selon l’étude, il aurait fallu un accroissement des températures bien plus important. Pour le cas de la France, il aurait fallu une augmentation de 6,6°C en moyenne durant la période végétative pour expliquer le degré d’alcool supplémentaire des vins rouges (Source Alexandre Abellan - Vitisphère).
Et nos chercheurs californiens de conclure, que l’augmentation générale de la quantité d’alcool contenue dans les vins serait plus liée à une orientation œnologique qu’à une réalité climatique.
L'autre point intéressant de cette enquête est de montrer l'écart grandissant entre le titrage en alcool réel, et celui porté sur l'étiquette. Pour rappel, une tolérance administrative de 0.5°C d'écart est autorisée en Europe et de 1°C aux USA.
Je cite à nouveau Alexandre Abellan pour Vitisphère,.... le vigneron a une position schizophrénique. Il doit d'une part répondre à une demande globalement orientée vers des produits aromatiques et structurés, tandis que le consommateur rechigne à des vins à forts degrés. Dès lors, comment obtenir en même temps un raisin à parfaite maturité (phénolique) et une teneur en sucre modérée (maîtrise de la maturité alcoolique) ? Avec les cépages actuellement disponibles, cela semble impossible. Alors à défaut d'être éthique, les incartades sur étiquette restent finalement la solution la plus simple.
Mais pourquoi les vignerons se sentent-ils obligés de jouer avec la tolérance ?
Comme vous commencez à le comprendre,
c'est d'abord et avant tout, nous, consommateurs qui avons poussé à cette hausse des degrés d'alcool.
Le mode de consommation des pays traditionnellement orientés sur le vin, comme la France, a changé. Nous sommes devenus un pays de
consommateurs occasionnels plutôt que réguliers.
Nous buvons moins, des vins de qualité supérieure et parmi les sensations imaginées de qualité, le degré d'alcool serait important. Rappelez-vous du discours de grand-père, pour lui, le 12.5°C, c'était du bon !.......sauf qu'aujourd'hui le 12.5°C est devenu 14°C et le principe reste vivace.
Par ailleurs, comme nous l'explique David Cobbold, journaliste du vin, le marché mondial croit aujourd’hui uniquement par l’apport de nouveaux consommateurs, dans des pays qui sont des marchés émergents pour le vin. Ces consommateurs boivent surtout de la bière, des alcools forts, des jus de fruits ou des sodas. Tous ces produits donnent des impressions de rondeur ou de sucrosité plus importants, qu'il convient de retrouver dans les vins. Des critiques de vins ont émergé dans ces pays, eux aussi venus de cette culture. Ils ont encensé des vins avec une rondeur venant d’une certaine richesse alcoolique. Alors on s’est mis, un peu partout, à cueillir des raisins à maturité plus poussée, gorgés en sucre.
Des raisins à maturité plus poussée, mais récoltés plus tôt, grâce à un matériel végétal (porte-greffe plus précoce) et des pratiques de conduite de vigne (effeuillage, vendanges en vert, baisse des rendements à l'hectare) qui livrent des raisins chargés en sucre et aux acidités plus basses.
Une combinaison satisfaisante pour le néophyte peu enclin à l'acidité mais mal perçue par l'amateur réticent face à des vins plus lourds et moins digestes.
La solution ne sera donc pas franchement dans les dates des vendanges, qui ont déjà gagnées 2 à 3 semaines depuis les années 60.
Certains font le pari sur de nouvelles variétés de raisins, générant de meilleurs équilibres sucre/acidité.
Les "bios" comptent eux, sur des pratiques plus respectueuses pour intensifier le potentiel acide/minéral et arriver à la double maturité (phénolique et alcoolique) plus rapidement, délivrant ainsi au final, des vins moins riches.
Alors rêvons…et si nous consommateurs, cherchions à apprécier des vins moins bodybuildés, à la faveur de vins délivrant une finesse plus intense, nous ferions ainsi notre part du chemin....
Nous développons ce genre de thématique dans le cadre de nos ateliers de dégustation de vins à Lyon