La question du potentiel de garde des vins sélectionnés
Je reçois de nombreuses demandes d’approvisionnements en vins de l’année de naissance d’un enfant. Se pose alors la question du potentiel de garde des vins sélectionnés. Si les vins de Bordeaux subissent actuellement de plein fouet un effet de « bordeaux-bashing », la réalité s’impose, c’est d’abord vers Bordeaux que je me tourne en première instance.
Quels vins offrent un potentiel de garde au-delà de vingt ans ? De moins en moins. Les vignerons ont bien compris, qu’en dépit de la question des acheteurs sur la capacité de garde des vins, la réalité est que peu de bouteilles resteront en cave au-delà de leur cinquième année.
Nous jugeons la qualité des vins sur leur goût immédiat. Les vignerons élaborent donc des vins plaisants dès leur prime jeunesse. Cela ne déjuge pas nécessairement de leur potentiel de garde. Un grand vin se distingue par son pouvoir à vous séduire à chaque instant de sa vie, même si ces instants s’expriment différemment.
De nombreuses régions et cépages offrent de beaux potentiels de vieillissement. Je pense spontanément au cépage Tannat à Madiran, au Malbec à Cahors, au Mourvèdre à Bandol. Dans une autre approche, de beaux effervescents, affinés en cave sur leurs lies plusieurs années, peuvent continuer à s’épanouir en bouteille et traverser les décades.
Pour autant et surtout pour les vins rouges, je privilégie toujours et d’abord Bordeaux si le millésime le permet.
Parlons de l’évolution gustative des vins de Bordeaux. C’est peut-être la plus grande force des vins rouges de la région. Leur évolution lente sur les bons millésimes (relativement fréquents ces dernières décades) garantit une modification très modérée du bouquet aromatique des vins au fil du temps.
Ce n’est pas le cas dans la plupart des autres régions, où l’aromatique évolue et éloigne plus rapidement le vin rouge de ses arômes primaires. C’est notamment évident avec la dégustation des vins de Bourgogne. Nous sommes tellement habitués à déguster des vins sur leurs arômes de cerise et de cassis dans leur jeunesse, que nous ne sommes plus capables d’apprécier l’évolution aromatique du Pinot Noir. Pire, cette évolution aromatique est souvent associée à un défaut du vin !
Dans le titre, j’évoque l’éloge de la patience.
Deux expériences de dégustation récentes m’ont alerté. A Lyon, les occasions de déboucher une bonne bouteille de Bordeaux entre amis sont plutôt rares. Pourtant côté rouge, ma cave de vieillissement est au tiers composée de vins de cette région !
J’ai récemment partagé avec un grand amateur ardéchois, mais à l’esprit ouvert, un Saint-Emilion Grand cru Classé, en l’occurrence le Château Tertre-Roteboeuf 2008. Les qualificatifs sont vite tombés, nos regards « en disaient longs » : quelle bouteille ! Le vin affirmait un « toucher de bouche » majestueux et pulpeux. Les tanins offraient leur belle sensation soyeuse quand la bouche s’arrondissait. La complexité aromatique mêlant fruité, épice et notes empyreumatiques se prolongeait longuement en bouche.
Confirmation une semaine après à l’ouverture d’un château Bellevue 2012. Ce vin de Haut-Médoc, parmi les plus réputés de l’appellation, délivrait une jeunesse incroyable. Onze ans passés et pourtant on aurait pu croire qu’il venait juste d’être mis en bouteille ! Combien d’autres vins rouges offrent un tel potentiel ? Même si le « boisé » du vin restait un peu trop ostentatoire, les tanins étaient digestes et la chair du vin roulait en bouche avec grande classe. Son potentiel de garde était indéniable.
Il faut certainement plus de temps aux vins de Bordeaux pour gommer l’apparente (mais trompeuse) uniformité dans leur jeunesse. Comme si le potentiel de garde et une évolution plus lente devenait un souci pour le bordelais ? Un comble !
Pour le candidat à l’achat de vins pouvant résister à l’épreuve du temps, ma recommandation est aussi guidée par le choix très large de références qu’offre le vignoble bordelais. Il est tout à fait possible de trouver des vins capables de tenir vinGt ans pour un prix relativement modeste (une trentaine d’euros) dans les bons millésimes.
Je préconise aussi à mon acquéreur une diversification du risque en l’orientant vers une part de vins liquoreux.
Posez-vous la simple question de savoir ce que préfèrera déguster un jeune adulte de vingt ans ? A priori, les chances de succès avec un vin « sucré » sont plus élevées.
Les risques de « casse » gustative sont plus rares sur les vins liquoreux. Ils évoluent doucement « sur leur sucre ». Mieux encore, leur sensation moelleuse diminue avec le temps et leur complexité aromatique se renforce.
Dans cette classe de vins, le choix est plus large. La décision sera prise en fonction de l’état du millésime dans chacune des régions.
Au départ, j’opte volontiers pour des cépages à fort potentiel acide. L’acidité du vin équilibre la liqueur du vin et sécurise l’évolution paisible du vin, l’acidité protégeant le vin dans le temps.
Naturellement je me tourne vers des Chenins de la Loire : Coteaux du Layon, Vouvray, Montlouis, Jasnières, ou autres. Plus au sud, le Petit Manseng à Jurançon offre aussi cette signature acide équilibrante, délivrant parfois d’immenses vins liquoreux.
Dans les meilleures années ces vins vous garantissent, pour des budgets finalement modérés (vous laissant aussi plus de budget pour la sélection en rouge) un choix qui fera plaisir à votre « grand bambin ».
Voici quelques impressions pour tous ceux qui s’intéressent au potentiel de vieillissement du vin. Naturellement mon propos est généraliste, de nombreuses alternatives existent, guidées par l’état du millésime. Mais observez simplement une vraie cave de vieillissement et vous constaterez par vous-mêmes, Bordeaux en rouge tient encore le « haut du pavé ».