Nombreux sont les vignerons affirmant qu’ils aimeraient juste amener des raisins à parfaite maturité, puis mettre le jus fermenté et élevé en bouteilles, avec le minimum d’interventions lors du process de vinification. A cette affirmation, lors d’une soirée œnologique à Cholet, un dégustateur m’interpelle « Qui fait le vin ? Est-ce finalement le vigneron ou le terroir ? La question étant pertinente, j’ai donc interrogé trois vignerons pour recueillir leur opinion, voici leurs réponses.
C’est d’abord Cathy et Laurent Jambon au domaine de Thulon, à Lantignié au cœur du Beaujolais, qui répondent à mes questions. La vigne est ici conduite en viticulture raisonnée. On ne s’interdit pas certains traitements phyto mais on tente de les limiter. Le domaine produit, entre autres, trois vins issus de crus-villages et plusieurs cuvées « originales ».
Ensuite j’interroge Alain Rotier au domaine Rotier, produisant des vins certifiés bio à Gaillac. L’appellation est vaste et les natures de sols variées. De fait le domaine comme l’appellation produit des vins aux expressions fort différentes.
Puis « l’érudit » Claude Papin éclaire notre sujet depuis l’Anjou. Le chenin est à l’honneur au Château Pierre Bise, le cépage délivrant des perceptions se distinguant d’un terroir à l’autre. La culture de la vigne est ici bio (plus précisément, la « bio-électronique » de Vincent).
La question du curseur entre rôle du terroir et poids du vinificateur ne se serait peut-être pas posée ailleurs ! Dans le monde du vin, le recours à l’irrigation, aux produits phytosanitaires, les « recettes physico-chimiques » prédominent souvent et le résultat doit être au mieux, standardisé.
Dans cet ordre mondial la France tente elle de mettre en avant la notion de vins de terroir
(adéquation sol/climat/cépage).
Mais un grand terroir accouchera-t ’il forcément d’un grand vin ?
La question est tranchée par Cathy « Tu peux faire aussi du très mauvais vin sur un grand terroir »
A ma question « Est-ce que si le raisin ramassé est parfait, le vigneron n’a rien à faire ? » Laurent précise : « Sur un terroir basique, tu ne peux pas sortir de grands vins, mais sur un grand terroir, c’est vrai que tu n’as pas grand-chose à faire. Tu as le potentiel, en revanche, de ton intervention dépend le profil de ton vin ».
Laurent ajoute « Un vigneron, c’est un peu comme un cuisinier…à partir des mêmes ingrédients, seuls certains chefs seront capables de magnifier l’ensemble »
Pour autant l’impact terroir est indéniablement fort.
Le domaine de Thulon produit 3 crus sur Régnié, Morgon et Chiroubles. A vinification et élevage identiques, les vins sont différents.
Au domaine Rotier où la culture de la vigne est semblable pour l’ensemble des cuvées, Alain précise : « On essaye d’exprimer encore plus le terroir sur nos meilleures parcelles, plus capables d’attendre. »
Une dégustation au Château Pierre Bise montre facilement qu’en fonction du vent, de la déclivité du côteau, de l’épaisseur du sol, de sa composition, de l’orientation des vignes, …. le chenin s’exprime différemment !
Quand on lui pose la question sur le rôle respectif de l’Impact terroir versus impact du vinificateur, Claude Papin indique : « Il est certain qu'à partir d’un itinéraire à la vigne qui optimise la maturité du raisin, 90% de l'expression du terroir proviennent de la vigne, le vigneron n’intervient que dans la précision du suivi et la propreté ».
Et à mon interrogation sur le niveau d'intervention du vigneron dans le style du vin il ajoute : « C'est la perception du potentiel d'un terroir et la psychologie du vigneron qui déterminent un choix de maturité à la cueillette. Le style du vin résulte de cette rencontre ».
Donc le travail du vigneron est primordial aussi ? C'est le but de notre travail à la vigne et en cave. Il faut trouver un itinéraire à la vigne favorisant une bonne maturité des raisins ».
Laurent et Carine précisent « Pour chacune de nos cuvées originales, il a été élaboré un process d’élevage bien particulier, process expérimenté et affiné au fil du temps, … là le curseur terroir/humain est 50/50 ».
Alain Rotier sourit, il réalise en avançant dans l’interview que le rôle du vigneron se révèle finalement plus déterminant. Son observation l’a conduit parfois à renoncer à certains cépages peu propices sur son parcellaire.
Au delà il précise que le processus d’élaboration du vin ne tiendrait pas sans l’humain : « ca partirait en « live »…..il faut guider le vin ».
Cathy précise : « le choix du pigeage, de travailler ou non en grappes entières, de sélectionner les jus, la méthode de pressurage comptent énormément sur notre cuvée de vieilles vignes, même si au départ son potentiel est important ».
Pour autant et elle renforce l’avis d’Alain Rotier
« On a un gros travail de surveillance. Autrement on peut vite faire des vins déviants »
Claude Papin ajuste cependant :
« Depuis plusieurs décennies, le focus n'a été fixé que sur la qualité des vins, avec de réels résultats. Seulement, la qualité n'est qu'une notion subjective alors que la typicité (révélation du terroir) de chaque vin répond d'une analyse objective. C'est elle qui porte la dimension culturelle du vin. »
On sent là des nuances assez sensibles. Quand le discours de Claude Papin insiste très largement sur ce qui conduit à l’expression minérale du vin, Cathy au domaine de Thulon et Alain au domaine Rotier mettent en avant leur non-intérêt pour les vins natures, risqués selon eux. Ces deux propos ne s’opposent absolument pas ! Mais on voit poindre les « dominantes » dans le discours.
J’ai particulièrement apprécié la simplicité apparente de la réponse d’Alain, à ma question sur ce qui distinguait ses vins : « La volonté de toujours bien faire ! ».
A goûter les vins de ces trois domaines, il est certain qu’ils partagent tous cette volonté et que la réussite est au rendez-vous.
NB : Je dédie cette chronique à Franck Chartrain, ferronnier d’art qui m’a inspiré l’idée de cette chronique. Merci à lui. Je remercie aussi nos 4 vignerons pour leur aide précieuse à la réalisation de cette chronique.