Quel autre cépage en France peut-il se targuer d’une telle popularité ? Aucun ! Nos amis américains en consomment tellement qu’ils pensent souvent qu’il est le cépage le plus planté dans le monde, il ne pointe pourtant qu’à la 5ème place. Il s’est imposé, à une vitesse folle, comme le cépage blanc numéro un mondial.
Comment ce cépage français, le Chardonnay s’est-il imposé partout dans le monde, comme symbole du grand vin blanc par excellence ?
Il en est bu une vingtaine de litres chaque seconde dans le monde ! Il est devenu tellement populaire qu’on le commande comme une célèbre marque d’eau gazeuse. Pourtant il n’est juste qu’un cépage, comme le merlot ou la syrah, sans que quiconque ne songe à réclamer un verre de ces cépages.
Son nom serait tiré du latin, Cardonnacum, qui définit l’endroit où poussent « les chardons ».
Les ampélographes estiment avoir trouvé la région d’origine d’un cépage lorsqu’il existe dans une zone géographique, le cépage originel associé à des formes “évoluées”, c’est à dire ayant subi diverses mutations.
Pour le Chardonnay les choses sont simples, puisqu’en Saône-et-Loire, se trouvent différentes formes de Chardonnay, et que s’y trouve un petit village appelé : Chardonnay. On suppose donc que les deux sont liés.
Alors comment passe-t-on d’un cépage local présent dans un petit village bourguignon, à une référence internationale cultivée presque partout ?
Le Chardonnay fût d’abord disséminé par les moines catholiques dans tout le vignoble français. Puis à travers toute l’Europe au gré des installations de nouveaux lieux de prière par les moines.
Mais c’est la réputation de certains vins produits avec ce cépage qui lui a valu sa renommée mondiale. En effet, les crus bourguignons les plus réputés, ainsi que les champagnes blancs de blancs, sont élaborés à base de Chardonnay.
Lorsque les “pays du Nouveau Monde” ont décidé de faire du vin, ils ont pris pour référence ce qui se faisait de meilleur, soit les cépages français, dont le Chardonnay faisait partie.
Le Chardonnay doit aussi son succès à sa facilité à être cultivé.
Pour peu qu’on le bride en limitant sa production de grappes, il faut un cumul de bévues pour en tirer un vin médiocre. Sa récolte est mécanisable rendant son coût de production plus abordable.
Même s’il se plait particulièrement sur des sols à dominante calcaire, comme en Bourgogne, en Champagne ou dans le Jura, il a la capacité à s’adapter partout, tout en révélant l’expression du terroir et du climat sous lequel il est produit. D’une région à l’autre, d’une appellation à l’autre, d’une bouteille à l’autre, les Chardonnays s’expriment souvent différemment.
Sa palette aromatique s’accompagne très bien des arômes délivrés par un élevage en barrique, à un point que nous sommes facilement déroutés lors de la dégustation d’un Chardonnay élevé juste en cuve.
Il est aujourd’hui souvent cultivé sous des climats chauds. Dans ce cas, l’excès de maturité l’incline à la mollesse, voire à la lourdeur.
De fait, les vignerons californiens recherchent aujourd’hui des zones fraîches, profitant des brises et des brumes matinales, apportées par l’Océan Pacifique.
Pourtant, le modèle inspiré par Meursault, d’un Chardonnay marqué par ses notes de noisettes, de pommes golden, de fruits très murs et de vanille, reste largement dominant.
Il faut goûter le Chardonnay du domaine Kistler, situé parmi l’élite américaine, pour comprendre cette démesure aromatique. Le vin est bien équilibré, c’est juste un style !
Cependant une nouvelle tendance émerge. Elle se greffe sur cette nouvelle appétence des jeunes générations pour des vins plus ciselés, plus marqués par ce terme devenu chic de minéralité (souvent utilisé à tort ! ..... un sujet sur lequel je reviendrai une autre fois…).
Il faut voir l’évolution de style, par exemple, dans l’un des plus célèbres Chardonnays sud-africains, celui de Hamilton Russel. La maturité poussée des raisins et le recours massif au bois neuf ont cédé la place à des vins, aujourd’hui moins boisés que fruités, et plus incisifs que gras en bouche.
En France, la Bourgogne proclame qu’elle produit les plus grands Chardonnays au monde,
grâce à la parfaite adéquation du cépage, avec la nature de ses sols argilo-calcaires et son climat septentrional plus frais.
Il est vrai que la Bourgogne, de par son étirement nord/sud entre Chablis et Mâcon, est capable de nous offrir une variété d’expressions du Chardonnay comme nulle part ailleurs au monde.
Tendu, frais et parfois minéral, marqué par la pomme verte à Chablis, le Chardonnay gagne en gras, en puissance, en intensité aromatique à mesure qu’on s’éloigne vers le sud. Des notes lactées (beurre frais), miellées (acacia) et de fruits secs s’invitent alors autour des notes florales.
Mais si la grande diversité et le savoir-faire des Bourguignons est incontestable, je n’irai pas jusqu’à dire que la Bourgogne concentre l’essentiel des grands vins blancs issus du Chardonnay (ce que je ferai en revanche volontiers pour le Pinot noir).
Le Jura ou certaines zones du Languedoc sont capables d’offrir de grandes émotions autour du Chardonnay aussi.
L’amateur de vins s’intéresse d’ailleurs de très près à ces nouveaux terroirs. Il faut voir l’extrême pauvreté des stocks de Chardonnay jurassien pour réaliser l’attrait de ces Chardonnays sur marnes calcaires. Je vous invite à goûter le Chardonnay bio « En Paradis » (vendu à moins de 20 euros) de Florent Rouve au domaine Rijckaert pour comprendre l’impact d’un joli terroir, d’un climat frais pour nous offrir un vin, à la fois ciselé, minéral tout en conservant une aromatique très « Chardonnay ».
Dans un autre style, il faut goûter à la cuvée Oppidum (75% Chardonnay puis Chenin et Mauzac – encore à moins de 20 euros) de Pierre Fabre au Château de Gaure en bio, pour réaliser le potentiel du microclimat de Limoux. Si on y produit depuis longtemps des vins effervescents, c’est le signe d’une influence océanique, propice à l’élaboration de grands vins blancs secs. Cette cuvée Oppidum se révèle être une pure gourmandise (on est dans le sud !), avec une longueur et une fraîcheur bienvenue.
Le Chardonnay est véritablement un grand cépage.
La tendance actuelle pour des vins blancs moins « bodybuildés » augure d’une nouvelle ère pleine de promesses. Déjà, il suffit d’ouvrir quelques heures à l’avance, à bonne température, un Grand Cru Corton-Charlemagne d’une dizaine d’années, pour comprendre la grandeur d’un Chardonnay, patiné par le temps sur un grand terroir.
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