Longtemps bornée à son rôle de moyen de stockage et de transport, la barrique est devenue au cours du dernier demi-siècle, un outil stratégique dans l'élaboration du vin. "Maquillage" aromatique pour certains, signature du grand vin pour d'autres, démêlons ensemble les usages, les vertus et les excès du passage "sous bois".
A Bordeaux, on m'appelle barrique (225 litres). En Bourgogne, je me prénomme fût (ou pièce de 228 litres). Je me décline aussi en demi-muid (400 à 500 litres) et mon grand frère est le foudre (+ de 1000 litres).
Je suis principalement issu du chêne pédonculé, ou encore de chêne blanc américain. Dans ce dernier cas, je coûte moins cher mais je donne un goût exubérant (arôme de coco), moins persistant dans la durée. Avec de la chance, je suis issu d'une belle forêt de chênes rouvres, comme la fameuse forêt du Tronçais dans l'Allier. Mais dans ce cas, je suis devenu tellement célèbre aujourd'hui, qu'on me retrouve en Chine sous forme de faux merrains.
Il semblerait que l'on doit à nos ancêtres gaulois l'invention du tonneau, bien que cela ne soit pas scientifiquement totalement attesté. Bien plus pratique d'utilisation que les jarres, son utilisation, en tant que simple contenant dédié à l'élevage du vin, va rester la règle jusqu'aux années 70.
Même si la fermentation du vin (étape de transformation du jus de raisin en vin) peut aussi se faire en fût, on utilise surtout le bois, à l'issu des fermentations, pour une autre étape essentielle dans l’élaboration du vin, l’élevage (qui précède la mise définitive en bouteille).
L’élevage, qu’il soit en cuve ou en barrique a de nombreuses finalités, comme notamment stabiliser la couleur et la limpidité des vins, assouplir les tannins et affiner les arômes.
L'élevage en cuves (inox, béton, fibre) offre comme avantage d'être nettement moins onéreux que la barrique. Le contrôle des températures y est facilité par l'équipement, désormais généralisé, d'outils de contrôle des températures (outils qui ont largement contribué à l'amélioration de la qualité des vins blancs et rosés ces dernières années).
Les cuves inox sont aussi plus faciles à nettoyer, donc plus sûrs, et comme elles sont totalement hermétiques au passage de l'air (on parle d'élevage neutre et protégé) elles conservent au maximum le caractère fruité du vin. En règle général, les arômes du vin sont mieux protégés. De grands vins, même rouges, sont donc élevés en cuve.
Mais l’élevage en barrique représente pour beaucoup d’amateurs une garantie de qualité, parfois à tort !
Contrairement à la cuve inox, la barrique n'est pas totalement étanche à l'oxygène.
On l'a souvent constaté, un jeune vin rouge placé en fût, évolue mieux et plus vite que le même vin en cuve.
Le peu d'air qui pénètre le fût, permet d'assouplir les tannins et réduit la sensation d'astringence du vin en bouche. On parle d’oxydoréduction. Les goûts éventuels de "réduit", les résidus de gaz carbonique s'échappent plus rapidement. La couleur du vin est aussi plus intense.
L'élevage sous bois doit être parfaitement maitrisé. En théorie, on n'utilisera pas les mêmes fûts, on allongera ou raccourcira la durée de l'élevage, en fonction de la qualité du millésime et du raisin ramassé.
Mais si le vin ne possède pas une structure suffisamment étoffée, on le voit malheureusement trop souvent avec des bouteilles estampillées "élevé en barrique", le vin deviendra rapidement asséchant.
En Beaujolais, comme dans la plupart des régions, on utilise surtout de vieilles barriques (ayant déjà éprouvées plusieurs millésimes) pour les effets recherchés, bénéfiques, de l'oxydoréduction, et beaucoup moins pour donner un gout boisé.
En général seuls les vins les plus aboutis, en provenance de domaines réputés, peuvent supporter un vieillissement en fut neuf. Cet élevage en bois neuf renforce la structure du vin, l’aide à vieillir pendant des décennies tandis que les arômes boisés s’effacent peu à peu avec le temps. Encore faut-il les attendre, souvent plus de 10 ans, avant de les boire...ce qui est dans les faits, se pratique de moins en moins !
J'ai en mémoire une discussion avec Dominique Gruault, président de la Maison bordelaise Dubecq, m'expliquant qu'il recevait des commandes de consommateurs de Château Margaux 2010, seulement un an après leur sortie de campagne primeur, alors que le vin était annoncé pour une garde de 40 à 50 ans.
Il faut dire qu'en cinquante ans, le goût boisé s'est largement invité dans la dégustation.
Une fois de plus, le modèle fut Bordeaux. Considéré à cette époque comme la référence mondiale, largement marqué par l'élevage sous bois, les vignerons des autres régions françaises, comme les pays du "Nouveau Monde", se sont joyeusement engouffrés dans cette voie du gout boisé.
Je le constate tous les jours, à travers mes ateliers de dégustations. Le goût boisé, flatteur car "gommeur" d'aspérité tannique, sucrant, réglissé, vanillé, torréfié, remporte toujours un franc-succès. Il domine alors la bouche, là où il ne devrait être qu'une famille aromatique supplémentaire.
A une époque où la notion de terroir est valorisée, ce goût boisé efface parfois l'origine du vin.
La recherche du goût boisé est donc une mode récente. Et comme cet aspect, seul, est parfois recherché, il a été facile et tentant d'utiliser des dérivés de chêne.
Pascal Chatonnet du laboratoire Excell à Bordeaux décrivait déjà, dans une étude de 2007, la progression très rapide du recours aux alternatives à la barrique ; copeaux de chênes, stèves (planche de chêne) et parfois même poussière de chêne. J'ai encore le souvenir d'une visite dans un château à Pomerol , qui évoquait sans dissimulation, l'usage de stèves.
Aujourd'hui , le choix des bois, leur origine et l’intensité de leurs brûlages (lors du cintrage des barriques) sont essentiels dans le goût final du vin.
Jean-Michel Garcion du groupe belge De Mour à Bordeaux déclare travailler avec 13 tonneliers différents. Il a ainsi constitué une véritable base de données au fil des années, croisant millésimes, tonneliers, chauffes, cépages et terroirs. Et d'ajouter ...«Bien sûr que ça me complique la vie. Bien sûr que cela nous coûte cher. Mais cela nous permet d’affiner nos vins sans les détruire.» (David Moginier - Tribune de Genève)
Chaque tonnelier propose au minimum 4 types de chauffes différentes (légère, moyenne, moyenne+ et forte). Chaque niveau d'intensité procure au bois un profil chimique différent, qui mettra en valeur des arômes distincts de torréfaction, d'épices, de vanille ou de noix de coco.
Au final, entre les choix de chauffe, les innovations spécifiques de chaque tonnelier, les différents millésimes, il n'est désormais pas rare de croiser des domaines compilant plus d'une cinquantaine de types de barriques différentes.
Un luxe réservé à l'élite (seuls 2% des vins sont élevés sous bois) mais qui démontre bien l'enjeu crucial qu'est devenu l'élevage sous bois et son corollaire, clivant, le goût boisé.